«Mbiin Diogoye», Là où Senghor a inventé le drapeau du Sénégal et ses symboles

INCURSION DANS LA MAISON FAMILIALE DE LEOPOLD SEDAR SENGHOR

«Mbiin Diogoye» (la maison du lion en sérère). C’est ici que Léopold Sédar Senghor, premier président de la République du Sénégal, a vu le jour en 1906. Mais la particularité de cette demeure, c’est d’avoir été la muse du président poète : le lion, la couleur verte des vérandas, l’étoile au plafond, le baobab. Ici tout rappelle Senghor, sa poésie et ses œuvres d’homme d’Etat. Réalité ou simple coïncidence ? «Mbiin Diogoye» vous ouvre ses portes.

JOAL-FADIOUTH – «Mbiin Diogoye», c’est la maison où est né Léopold Sédar Senghor. Mais c’est aussi celle qui l’a vu grandir. Elle se niche sur la route en plein centre de Joal. Avec le temps, elle s’est confondue avec le décor, mais la réalité est que cette maison n’a rien de banal. Elle a été construite en 1880. On y entre par une porte qui se referme toujours derrière soi. Dans l’enceinte, c’est une cour recouverte de coquillages qui emplit les yeux du visiteur. Un perron sous forme de croix ou signe + mène dans chacun des trois bâtiments que compte la maison. L’endroit est d’une propreté irréprochable et des fleurs bordent les murailles des trois appartements. Devant le plus grand qui fait face au visiteur, un petit puits gît sous la paire d’escaliers qui aident à accéder au bâtiment.

«C’est l’appartement des parents, et c’est par là que nous allons commencer la visite». C’est Etienne Guirane Diène qui venait de prononcer ces mots. Il est le conservateur de cette maison qui, depuis 1976, est devenu musée et patrimoine historique classé. «Mais depuis lors, aucun ministre de la Culture n’y a mis les pieds», déplore Etienne, vêtu d’un pantalon beige et d’un Tee-shirt blanc. Il ne cache pas son enthousiasme de perpétuer la culture sérère auprès des visiteurs.

La bâtisse est imposante, il y a une véranda spacieuse qui donne sur un patio avec une table au centre. Des portraits recouvrent les murs. Celui de Basile Diogoye Senghor attire l’attention. C’est le père de l’ancien président. A droite, il y a sa chambre privée et en face d’elle la conjugale. «Diogoye avait 5 épouses, même s’il a été baptisé chrétien quand il a eu 29 ans», raconte M. Diène.

Là où tout est parti !

Debout au centre du patio qui faisait office de salon, le conservateur de la maison explique que sous le parquet en bois ciré, il y avait une cave. «C’est la seule maison qui en disposait dans tout Joal, à l’époque», précise-t-il. Ce grenier avait un double objectif. C’était d’abord une banque pour le richissime père de Léopold Sédar Senghor, mais aussi un grenier pour garder les vivres. Le conservateur de la maison est convaincu qu’une partie de l’histoire du Sénégal s’est écrite à partir de ce salon.

«Senghor s’est beaucoup inspiré de la maison de son père», finit–il par lâcher, avant de se laisser aller dans quelques détails : «Prenez le drapeau national qui commence par une bande verte. Dans un de ses poèmes, Léopold Sédar Senghor nomme son père ‘le lion vert’. Ensuite, dans ‘Chants d’ombre’, il y a un autre poème très connu qui chante Joal. Il y dit dans un vers : ‘Je me rappelle les Signares à l’ombre verte des vérandas».

En effet les vérandas de l’appartement sont de couleur verte et pour M. Diène, le vert est la couleur des musulmans, mais aussi celle que Senghor a choisie pour son parti politique, le Parti socialiste (Ps).
Et pour le conservateur, il y a encore plus frappant. «Au milieu du drapeau, on voit qu’il y a une étoile qui n’y était pas. Au départ, il y avait seulement le vert, le jaune et le rouge. Le président a voulu trouver un signe distinctif entre le drapeau sénégalais et malien, alors il a mis une étoile à cinq branches sur le jaune». Allègrement, il demande de lever les yeux. Et là se découvre une étoile à 6 branches qui trône majestueusement au milieu du plafond décoré, pas des bandes verticales de couleur marron et beige.

«L’étoile vient de là», indique le conservateur avec l’index pointé vers le haut de la pièce.

Et il ne s’arrête pas là. Selon lui, même pour les symboles de la nation Senghor se serait inspiré à partir de «Mbiin Diogoye». «Il a choisi le lion qui veut dire Diogoye en sérère, du nom de son père, mais aussi le baobab arbre qui fait partie des plus imposants du Sénégal. Et dans la cour de cette maison vous avez ce baobab», explique le conservateur en montrant l’arbre qui est dans l’arrière-cour de la maison. C’est un baobab gigantesque qui coupe presque la parole. Sous son tronc, un pilon et une grosse pierre reçoivent souvent des libations. Il y a aussi un portrait de Jésus. «Cet arbre était là bien avant la naissance de Senghor», place calmement M. Diène.

En face de l’arbre, il y a une case en paille. «C’était la cuisine. C’est une tradition chez les Sérères de toujours conserver leur culture. C’est pourquoi, même quand la maison est en dur, on conserve toujours une case à l’arrière de la cour», explique le conservateur. Des mots qui font penser à la célèbre devise de Léopold Sédar Senghor : «S’enraciner pour mieux s’ouvrir».

La visite se termine par un tour dans l’appartement des garçons, puis celui des filles qui se font face. Celui qui était réservé aux garçons est devenu un musée qui retrace le parcours de Léopold Sédar Senghor, à travers des coupures de journaux, des tableaux d’arts, des panneaux signalétiques et même une statue en bronze de l’ancien président. «C’est à la taille normale de Senghor. Cela est un cadeau que lui a offert son coiffeur, Grégoire Nascimento Dias. C’était quand le président fêtait ses 70 ans, en 1976», précise M. Diène. L’appartement des filles est devenu un petit musée où beaucoup de vestiges de la culture sérère sont exposés.

ETIENNE GUIRANE Diene, CONSERVATEUR DE «MBIIN DIOGOYE»
«Depuis 3 ans, je travaille ici et je suis sans salaire !»

Il n’est pas historien, encore moins universitaire. Mais c’est pourtant bien lui le conservateur de «Mbiin Diogoye», le royaume d’enfance de Léopold Sédar Senghor. Lui, c’est Etienne Guirane Diène. Depuis 3 ans, il exerce cette fonction, sans salaire.

JOAL-FADIOUTH – Il a 37 ans. Il a une taille moyenne. Il est de teint noir. Il a une allure sportive, une mise relaxe, mais surtout le verbe facile. Lui, c’est Etienne Guirane Diène. Il est le conservateur de «Mbiin Diogoye», la maison natale de Léopold Sédar Senghor. Le royaume de l’enfance de l’ancien président est à Joal, sur la route qui mène à Fadiouth. Il en est le conservateur, depuis 3 ans.
Ses explications détaillées et claires montrent à quel point il est passionné. Depuis qu’il est conservateur, il n’a pas encore de salaire. «Depuis 3 ans, je travaille ici et je suis sans salaire. On m’a demandé de saisir le ministère de la Culture et la mairie, mais chacun renvoie la balle à l’autre», éclaire-t-il. Mais pour lui, même si le musée est un patrimoine national, l’Etat ne s’investit pas encore assez dans sa mise en valeur et son entretien.

Et pourtant, il est là chaque matin pour vivre ses deux passions : Senghor et la culture sérère. Il a le visage radieux quand il fait la visite guidée des lieux. Il parle un français impeccable et ne bute presque jamais sur les dates et repères historiques. Il maîtrise son sujet. On se croirait presque en face d’un diplômé d’histoire à l’université, mais que non ! C’est lui qui éclaircit : «Mon niveau scolaire s’arrête au collège. J’ai été viré en classe de 3e parce que j’étais gréviste».

Tout ce qu’il sait, il l’a appris de ses recherches, de sa documentation et au besoin de ses recoupements. Il a beaucoup lu l’œuvre de Senghor. Il s’y ajoute aussi le fait que sa grand-mère est affiliée au père de Senghor. «Ma grand-mère est une nièce du papa de Senghor et elle me parlait souvent de Diogoye», explique-t-il Ce qui lui permet aujourd’hui, avec ce qu’il a reçu de son prédécesseur, de faire le travail de conservateur de la maison de Diogoye Basile Senghor, père du premier président du Sénégal indépendant.

Cette maison, Etienne Guirane Diène l’aime et en connaît tous les coins et recoins. Dans les normes, on devrait payer 200 francs Cfa, avec chaque visite, mais même sans argent, Etienne se fait un plaisir de faire découvrir au monde entier le royaume d’enfance de Léopold Sédar Senghor.

Mamadou L. CAMARA & Mbaye THIAM | Publication 22/08/2013

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