Serigne Abdou Aziz SY Al Amine: le gardien de l’orthodoxie Tidjane

Pendant longtemps, on a ajouté « Junior » à son nom, Abdoul Aziz Sy, pour le distinguer son oncle paternel Serigne Abdoul Aziz Sy, le khalife général de la Tijanya au Sénégal (1957-1997). Aujourd’hui, il est devenu Serigne Abdoul Aziz « Al Amin » (« Celui en qui on en confiance ») avec la même fonction : porte-parole du Khalife, son frère ainé. Dans cette interview qu’il a accordée à notre magazine « Echos de la Banque mondiale » dans sa maison à Tivaouane (à 92 kilomètres au sud de Dakar), il parle des questions politiques, religieuses, sociales. Avec franchise. Avec cette touche savoureuse faite d’anecdotes et d’humour. Mais aussi avec force  citations pertinentes de versets du Coran, de paroles prophétiques. Et de son père dont il a rappelé sans relâche les recommandations

Le Sommet de l’OCI va se tenir pour la seconde fois au Sénégal. Dans votre analyse, s’agit-il d’un sommet d’abord politique avant d’être islamique ou l’inverse ? Qu’attendez-vous comme résultat de cette rencontre prévue en 2008 ?

Permettez-moi d’abord de vous souhaiter la bienvenue dans cette famille qui est la vôtre (Ndlr : allusion aux origines familiales du Directeur des opérations). Nous vous félicitions aussi pour ce magazine du bureau de la Banque mondiale.

Pour ce qui est du sommet de l’Organisation de la conférence islamique, évidemment nous nous réjouissons du fait que c’est la deuxième fois qu’il va se tenir au Sénégal. Je dois dire que le premier sommet tenu à Dakar, en 1991, était d’abord un sommet politique et les musulmans n’y étaient pas vraiment associés en tant que tels. Les dirigeants étaient venus, ont fait leur sommet et son repartis. Or, il faut rappeler que l’OCI est née d’un événement douloureux pour les musulmans, l’incendie criminel de la Mosquée Al-Aqsa de Jérusalem, un des trois lieux saints de l’Islam avec la Mecque et Médine, le 21 août 1969. Et c’est le roi du Maroc, feu Hassan II, qui eut l’idée de mettre en place l’OCI, première organisation de rencontre pour les musulmans, un lieu pour le règlement des problèmes entre pays islamiques. Or que voit-on depuis la création de l’OCI ? Des rencontres politiques qui n’ont jamais résolu un seul problème du monde islamique ! Les pays islamiques sont encore plus désunis, les chefs d’Etats islamiques eux-mêmes n’ont nullement progressé vers l’unité. Au contraire, leurs relations vont de mal en pis et pour eux, préparer le sommet de l’OCI se résume en général à préparer des attaques contre un autre chef d’Etat pendant le sommet qui, finalement, n’aboutit à aucun résultat positif.

Dans ce contexte, quand le Président Wade (du Sénégal) a demandé que le sommet se tienne une seconde fois au Sénégal, nous avons pensé, nous guides religieux, lui préparer un viatique pour donner un nouvel élan à l’OCI, avec des propositions concrètes pour que le sommet serve les musulmans. Le sommet de Dakar ne doit pas être une simple rencontre politique, mais aussi un sommet qui trouve des solutions aux problèmes du monde islamique, étant entendu que l’Islam est capable de trouver des solutions à tous le problèmes sociaux, économiques, politiques qui se posent dans le monde musulman. Pour autant qu’on a la foi.

Comment appréciez-vous l’appel que les acteurs politiques vous adressent régulièrement en vue d’apaiser les tensions entre eux (Me Abdoulaye Wade et Idrissa Seck) ou entre l’opposition et le pouvoir ?

Dans le champ politique, nous jouons un rôle de sapeur-pompier face à l’incendie. En cela, nous faisons que suivre les traces de nos illustres devanciers. El Hadj Malick Sy (son grand père), fondateur de la confrérie Tidiane ici au Sénégal à la suite d’El hadj Omar Tall. El Hadj Malick a vécu dans une période difficile marquée par la colonisation française dans sa période la plus dure, le début de l’implantation de l’Eglise catholique avec le support du colon français, la survivance du paganisme avec les rois « Ceddo » en conflit souvent armé avec le colon et la prolifération de chefs religieux plus enclins, par ignorance, à suivre les traditions locales que l’Islam. Ce sont ces quatre défis auquel devait faire face El hadj Malick qui voulait implanter un Islam orthodoxe, sans s’allier à aucune des ces entités mais aussi sans s’en faire leur ennemi. Grâce à cette position constante, il a pu jouer ce rôle de sapeur-pompier entre les populations autochtones et les colons français. Ainsi, il su faire éviter des répressions sanglantes qu’auraient pu commettre les colons français contre les Sénégalais.

N’ayant pas connu mon grand-père, il m’a été raconté par mon père (le Khalife Ababcar Sy qui a dirigé la confrérie Tidiane au Sénégal entre 1922 et 1957) qui l’avait accompagné, que lors d’une rencontre entre El hadj Malick et le Gouverneur français de la colonie du Sénégal, ce dernier l’avait informé de l’ordre qu’il avait donné à l’armée et aux services d’hygiène de raser totalement par le feu Guet Ndar, le quartier des pécheurs de Saint-Louis (au nord du Sénégal) dont les habitants refusaient, depuis quatre mois d’accepter, de se faire vacciner contre la fièvre jaune. El Hadj Malick ne se priva pas de critiquer le Gouverneur pour son extrémisme, son irresponsabilité et son manque de savoir-faire. Il proposa sa médiation en demandant au Gouverneur de rapporter au préalable et sans conditions tous les ordres qu’il avait donnés concernant le sort du quartier des pécheurs. Ce qui fut fait. Alors, il alla lui-même se faire vacciner contre la fièvre jaune au service d’hygiène pour donner l’exemple avant d’entrer dans le quartier de Guet Ndar. Dans les heures qui suivirent, tout le monde fut vacciné, car les habitants avaient confiance en El Hadj Malick. Cette démarche d’El Hadj Malick a été faite en toute responsabilité et il n’a jamais été au service des colons, mu seulement par son désir de préserver la paix, sans renier aucune de ses convictions.

C’est ce même rôle de sapeur-pompier que nous jouons aujourd’hui comme l’avait fait mon propre père. Je me souviens que lors d’élections réservées aux « citoyens » des 4 communes du Sénégal (Dakar, Rufisque, Saint-Louis et Gorée, par opposition au reste du territoire qui n’avait pas le droit de vote) pendant la période coloniale, mon père qui était « citoyen », après la prière retenait toujours les gens pour leur tenir ce discours : « Nous allons vers les votes et vous avez deux bulletins : la carte d’électeur et votre langue. Jetez le bulletin de vote dans l’urne pour le candidat de votre choix et retenez votre langue. Si  vous n’avez qu’un bulletin de vote, votre langue, alors retenez-le pour préserver la paix. » C’est le conseil qu’il donnait toujours.

Dans la situation actuelle du Sénégal, notre rôle continue et les gens qui disent que les chefs religieux doivent se taire sur la situation politique, ne comprennent pas le sens de notre démarche. Nous ne parlons pas de politique. Le marabout qui se mêle de politique, c’est celui qui cherche à avoir des avantages auprès des tenants des pouvoirs d’Etat ou des responsabilités politiques. Le marabout ne doit pas se mêler de la politique de cette façon, il doit assumer ses responsabilités vis-à-vis de la religion. Mais si le jeu politique doit engendrer des conséquences négatives pour les populations, alors notre rôle est d’intervenir pour que la paix soit préservée. Evidemment, notre démarche ne peut pas plaire à certaines franges politiques qui peuvent souhaiter que les choses dégénèrent ou qui souhaiteraient notre engagement en leur faveur.

En général, le message que nous tenons est de rappeler que les promesses doivent être suivies de réalisations et que les invectives et les écarts de langage ne servent pas le pays. En même temps, nous demandons au parti dominant d’être tolérant, de savoir que le dialogue est indispensable avec toutes les autres formations politiques, même si ce dialogue n’aboutit pas toujours nécessairement à des accords. Et c’est ce chemin que voulait Senghor (le premier président du Sénégal) pour qui j’ai beaucoup de respect qui me disait souvent qu’au Sénégal, chaque fois que des problèmes se posent c’est qu’il y a eu déficit de dialogue, de concertation. C’est pourquoi nous demandons toujours au parti qui dirige le pays de favoriser le dialogue, tout en indiquant à l’opposition, que ce dialogue doit se faire dans le respect, en mettant en avant la raison et non le cœur. Mon père disait que la raison c’est la lumière et le cœur c’est l’obscurité qui vous mène droit dans le mur. Un responsable n’a pas le droit de dire ce qui lui est dicté par sa passion. Mon père disait : « celui que tout le monde écoute, ne doit pas tenir de propos déraisonnables et celui que tout le monde regarde ne doit pas emprunter un chemin tortueux ».

Le rôle des leaders religieux dans la sphère politique est une spécificité sénégalaise. Des chefs religieux sont aujourd’hui à la tête de parti politiques, ce qui n’est pas courant en Afrique subsaharienne. Comment jugez-vous ce phénomène qui pourrait troubler la démarcation entre le politique et le religieux ?

C’est vrai, des circonstances peuvent pousser des marabouts, des chefs religieux à descendre dans l’arène politique, jusqu’à créer un parti politique pour faire exploser leur colère. Mais c’est une erreur. C’est une démarche que je ne peux pas approuver. Il ne sied pas à un chef religieux de fonder un parti politique. Car la politique ne peut pas aller de pair avec la religion dans un pays comme le Sénégal. Moi-même qui vous parle, j’ai été membre d’un parti politique, le Parti de la Solidarité Sénégalaise dont j’étais le trésorier et qui a été fondé par mon propre frère ainé (Cheikh Tidiane Sy) à la suite de malentendus avec le Président Senghor, deux ans après l’accession du Sénégal à l’indépendance en 1960. C’était le premier parti dirigé par un chef religieux au Sénégal. Il voulait montrer son opposition à Senghor et sa manière d’entretenir leurs relations, parce qu’ils étaient des amis, en fait. A partir du moment où il a considéré que Senghor l’avait trahi, il a créé son parti pour exprimer sa colère. Je dois dire que j’étais en phase avec mon frère à l’époque, mais, avec le temps, je considère que cette entrée en politique a été la plus grande erreur de notre vie ! En réalité, on aurait dû combattre Senghor sans aller jusqu’à créer un parti. A l’analyse, je me rends bien compte que la façon de faire la politique au Sénégal est incomptable avec la religion. En effet, le mensonge, la cachotterie, l’offense, la diffamation, etc., sont des marques de la politique sénégalaise et ce ne peut pas aller avec l’Islam. En Islam, il n’y pas d’organisation secrète et on ne cache pas sa démarche, car il ne doit y avoir rien à cacher en politique.

Personne ne m’a encore démontré la justesse d’une démarche consistant à créer un parti lorsqu’on est guide spirituel. Cela ne veut pas dire que le chef religieux ne doit pax exprimer ses vues quand les actions des politiques représentent des menaces pour le pays et pour nos valeurs. Aujourd’hui, chaque fois que je vois un des chefs religieux à la tête d’un parti politique, je lui dis, en toute franchise, qu’il est en train de commettre une erreur. On peut exprimer sa colère autrement que par la création d’un parti lorsqu’on est chef religieux. Etre à la tête d’un parti politique mène immanquablement à des pratiques reprouvées par la religion. D’ailleurs, ces guides religieux finissent toujours par faire exactement comme les politiciens, avec toutes les conséquences sur leur sainteté, leur capacité à diriger la communauté islamique. Aucun d’eux n’a réussi et tous finissement par négocier avec le pouvoir pour obtenir de petits privilèges, avoir de petits postes, des sinécures. Or, leur position antérieure avait plus de valeur que ces places qu’on leur octroie pour qu’ils se tiennent tranquilles.

Excellence, le chômage est une préoccupation majeure au Sénégal. Par quels moyens pensez-vous que le Sénégal pourrait donner le maximum d’emplois à ses jeunes ? Si vous étiez ministre de l’Emploi, quelle serait votre politique ?

Aujourd’hui, le monde est assailli de problèmes, variés et complexes (il fait une citation en arabe). Parmi ces problèmes, il y a la dislocation des familles, les divisions, l’éducation. Il est cependant clair que le chômage est le plus urgent problème à résoudre car le monde appartient aux jeunes. Je suis sûr que sur les 11 millions de Sénégalais, il y a 10 millions de jeunes ! Et sur dix jeunes, il n’y a qu’un seul ou deux qui travaillent  par famille et qui supporte tout le reste. Or l’adage dit que celui qui soutient, seul, un groupe de neuf pauvres, sera un jour le dixième du groupe.

Nous les musulmans, devons nous préoccuper de ce problème comme le prophète de l’Islam nous l’a recommandé. Il nous a enseigné que, tant pour l’homme que pour la femme, travailler est plus digne que se faire entretenir par d’autres personnes ou rechercher une aide (NDLR : Il raconte deux histoires illustrant la façon dont le prophète encourageait les membres de sa communauté, hommes et femmes, au travail).

Le prophète de l’Islam ne se contentait pas de constater le chômage, il cherchait aussi des solutions. Or, dans beaucoup d’Etats, on parle de chômage mais sans prendre les mesures qu’il faut. Il est évident que nos ministres chargés de l’emploi aujourd’hui ne font preuve d’aucune imagination pour résoudre la question du chômage. A chaque période, il faut des solutions particulières. Il ne s’agit nullement d’appeler à des réunions, à des séminaires et de faire comme ses prédécesseurs. Non ! Quand on confie un département ministériel à une personne, elle doit avoir à cœur de faire progresser les choses. Or en Afrique, les ministères chargés du travail et de l’emploi franchement ne font pas grand’ chose ! Il faut créer des opportunités d’emplois.

Vous savez, un de mes jeunes talibés m’assiégeait pour que je l’aide à avoir un visa d’entrée dans un pays occidental. Il m’avait donne son passeport ignorant que moi, tout ce que je fais pour avoir un visa, c’est de confectionner un dossier complet, le déposer au consulat et attendre la réponse qui peut être positive ou négative. Sans plus. Apres plusieurs va-et-vient chez moi, il disparut. Un jour, le voila qui revient, très bien habillé et je lui demandai illico les nouvelles d’Italie, d’Espagne et des Etats-Unis ! (Rires). Il sourit et me répondit qu’il n’avait pas quitté le pays et qu’il était juste à Mboro à quelques kilomètres d’ici (l’entretien a eu lieu à Tivaouane, à une centaine de kms de Dakar). En fait, il avait acquis une charrette s’était mis à vendre des aliments de bétail. Ses résultats aidant, la société productrice lui a donné un coup de main pour ouvrir un magasin de stockage et, de détaillant, il s’est retrouvé grossiste. Il s’était simplement rendu compte qu’au lieu d’attendre un hypothétique visa, il pouvait se lancer dans des activités génératrices de revenus en investissant le maigre capital qu’il avait. Cela veut dire qu’on peut réussir ici. Il faut se concerter et trouver des solutions dans l’agriculture et dans d’autres secteurs porteurs. A l’époque de mon père, il poussait les gens à aller travailler dans l’agriculture et le commerce avec des recommandations très simples du genre : «  Si vous voulez réussir dans l’agriculture, il faut se réveiller tôt, être présent dans son champs et surtout éviter le surendettement et si voulez faire du commerce, il faut éviter de se faire avoir par ton créancier, ta clientèle et ton propre penchant à confondre chiffre d’affaires et bénéfice !».

Il est clair que tous les troubles auquel nous faisons face ici et dans le monde,  sont les conséquences du chômage. Et il faut résoudre ce problème avec des programmes soutenus notamment dans le domaine agricole. Mais, il faut alors des programmes agricoles qui ne sont pas au seul bénéficie des nantis et chefs religieux qui souvent font travailler des talibés, sans autre salaire que des prières formulées pour eux. Il faut des programmes équitables qui bénéficient à tout le monde pour résoudre le chômage par le biais de l’agriculture.

 Des jeunes sénégalais prennent en masse des pirogues au péril de leur vie pour émigrer en Europe. Comment analysez-vous vous cette émigration clandestine ? Avez-vous des recommandations à faire à l’Etat et à la société pour éradiquer cette émigration clandestine ?

L’émigration clandestine mérite solution. Je vois bien que les Etats essaient d’y faire face mais, à mon avis, ces solutions ne sont pas opérationnelles. En effet, on ne peut aujourd’hui donner aucune raison que les jeunes trouveront valable pour ne pas tenter l’aventure, même au péril de leur vie. Ils veulent partir, un point c’est tout. Des morts, des cadavres rejetés sur les plages, des pirogues qui chavirent dans l’Atlantique, tout cela n’a aucun effet sur eux. Ils veulent partir coûte que coûte avec l’idée qu’il est possible d’y arriver et de poser pied en Europe.

Il faut que les Etats s’entendent sur un système pour adoucir les conditions d’octroi des visas pour que les jeunes puissent partir légalement car ce sont aussi les conditions drastiques d’octroi des visas qui expliquent la ruée des jeunes dans les pirogues. J’ai dit au ministre de l’Intérieur du Sénégal que les accords pour le rapatriement ne sont pas une bonne solution. La solution, c’est soit de les retenir ici soit de leur faciliter l’obtention de visa, mais rapatrier des jeunes qui ont risqué leur vie est une mauvaise solution. Quand ils arrivent dans ces pays d’Europe, il faut négocier leur installation. D’autant que l’Europe a besoin de la force de travail de ces jeunes sénégalais. J’en discute toujours avec des officiels en Italie et en Espagne au cours de mes visites et récemment, la  Présidente du Conseil régional de Palma de Majorque me confirmait ce besoin en main d’œuvre, notamment dans le secteur agricole. Et si elle stigmatisait l’immigration clandestine, elle préconisait aussi un assouplissement des conditions d’entrée en Espagne pour les jeunes africains.

J’ai été témoin en Espagne de la première vague de jeunes venus par les pirogues. J’étais contre leur rapatriement au Sénégal. J’ai demandé aux Sénégalais sur place de protéger leur compatriote, de leur porter secours, des les aider et de leur montrer le chemin pour avoir du travail. Je leur avais même proposé de créer un Fonds de solidarité sociale pour mieux s’entraider.

En vérité, il faut dire qu’il n’y a pas un contrôle en amont de l’émigration clandestine en partance du Sénégal, car il faut sévir contre les propriétaires de pirogues qui profitent du système et les démarcheurs qui leur amènent des clients à l’émigration. Ce sont des gens qui ne prennent aucun risque et s’enrichissent facilement : ils mettent une centaine de personne dans une pirogue moyennant un paiement de 500.000 FCFA (environ 1000 US $) par personne et confie la navigation à une personne. Que la pirogue arrive ou non  à bon port, ils s’en lavent les mains ! C’est pourquoi, nous aussi chefs religieux, nous devons combattre le phénomène. Nous devons en parler, non pas par des déclarations à la radio ou à la télévision sans lendemain, mais par un travail en profondeur, dans les quartiers, dans les familles. Il faut savoir parler à une mère prête à vendre tous ses biens pour financer le voyage clandestin de son enfant, dans l’espoir de recevoir plus tard des fonds et de posséder maisons et meubles, d’aller à la Mecque, etc., comme sa voisine qui a un enfant émigré en Europe ou aux Etats-Unis après des années de chômage au Sénégal. C’est un véritable drame. Il nous arrive de recevoir des familles qui nous demandent des prières pour leur enfant parti depuis deux ou trois ans et dont elles sont sans nouvelles. Evidemment, elles refusent de prendre conscience de la mort de leur enfant. C’est un drame, un problème d’Etat, un problème national. Il concerne tout le monde. Et l’Etat doit être plus ferme dans ses négociations avec les pays européens dont l’Espagne, la France, l’Italie dont les ressortissants n’ont aucune difficulté pour venir dans nos pays.

La présence des enfants en train de mendier dans les rues des villes du Sénégal et à Dakar en particulier est un problème connu de tous. Comment analysez-vous ce phénomène ? En quoi l’Islam est-il concerné par ce phénomène ? Quelles solutions préconisez-vous pour mettre fin à la mendicité des enfants de la rue ?

Le problème des enfants de la rue est un problème pour tous les pays en voie de développement. Quand je suis parti en Europe pour la première fois en 1970, j’ai eu l’occasion de visiter  Paris, Milan (Pour l’anecdote, j’ai débarqué en kaftan, ignorant totalement les conditions climatiques ! Ce qui fait que mon premier geste sur la terre européenne a été de me payer un costume et un manteau avant même d’aller chez mes hôtes ! Suivant d’ailleurs en cela une recommandations de mon père qui disait : « Si tu arrives dans un pays, sois comme ses habitants, mais sans te séparer de ce que tu es !»). A mon retour au Sénégal, on m’a demandé ce que j’avais vu en Europe, mais ma réponse a été de leur dire les trois choses que je n’avais pas vu : les grand’ places (sorte de salon en plein air ou des gens se rassemblent pour palabrer toute la journée),  des tas d’ordures dans les rues, et des enfants qui errent dans les rues ! C’est pour vous dire que le sort des enfants et leur éducation ont été de longue date une préoccupation chez moi.

Quand j’ai créé pour la première fois un daara, une école coranique, la tradition voulait qu’on envoie mendier les enfants. C’est mon père qui m’avait recommandé de créer ce daara mais il avait fermement interdit d’envoyer les enfants mendier. Pour lui, la mendicité ne peut produire que des effets négatifs sur l’enfant et même sur l’enseignant qui l’envoie mendier. Et jusqu’à présent nous respectons cette recommandation. Il faut organiser les daara et servir contre ceux qui créent des écoles coraniques simplement comme des moyens pour exploiter les enfants en les envoyant mendier toute la journée pour les obliger à leur verser quotidiennement de l’argent. Quand on a 40 enfants qui vous apportent chacun 200 F par jour, les enfants n’apprennent rien et c’est de la simple exploitation économique dont sont victimes les enfants. Chaque fois que je rencontre des enfants de la rue dans es parkings, les stations d’essence, etc., je discute avec eux et je me rends compte à chaque fois qu’on ne leur apprend rien en matière islamique, sinon d’aller mendier. Cependant, il faut aussi savoir que certains enseignants coraniques reçoivent des enfants sans rien recevoir des parents et ces enfants, il faut ben les nourrir. Donc c’est un phénomène qu’il faut prendre à bras-le-corps et collectivement. La société doit prendre soin des enfants comme le prophète Mohammed l’a enseigné avec ce que je peux appeler la règle des 3 fois 7 ans. Le prophète de l’Islam enseigne que jusqu’à 7 ans, l’enfant doit être le « roi » des ses parents qui doivent satisfaire ses besoins, s’amuser avec lui et ne lui faire supporter aucun fardeau. C’est à l’âge de sept ans seulement, qu’il doit commencer à apprendre, à être éduqué et c’est à partir 14 ans qu’il faut commencer à le responsabiliser pour l’émanciper totalement à 21 ans. Le prophète a mis cela en pratique. Il était content de jouer avec les enfants, il leur donnait souvent un sobriquet affectif.

Il faut aussi dire que l’urbanisation incontrôlée a des effets sur ce phénomène et sur la délinquance juvénile. D’ailleurs, au Président de la République qui me parlait de son désir de faire de Tivaouane une grande ville religieuse, j’avais répondu que son souhait était louable mais qu’on ne voudrait pas aussi que la ville devienne une capitale de la délinquance. C’est une question de contrôle de l’urbanisation pour amoindrir les risques. Les enfants de la rue sont partout dans les grandes villes et nous travaillons pour y mettre fin, mais il faut du tact. Nous appuyons le programme que vous avez initié (le Partenariat pour le retrait des enfants de la rue) mais je vous réitère ma conviction que le succès dépendra du consensus national, de l’implication de tous les leaders religieux, des parents, de l’Etat. Avec ce programme fédérateur, je suis optimiste quant au retrait des enfants de la rue.

coskastivaoune

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici