Thierno Souleymane Baal, également connu sous le nom de Ceerno Sileymaan Baal, fut l’un des plus grands leaders du 18e siècle, un chef de guerre et un érudit musulman toucouleur qui marqua l’histoire du Fouta Toro, une région située sur les rives du fleuve Sénégal. Sa vie et son œuvre sont synonymes de réformes profondes, de lutte contre l’injustice sociale et d’une vision claire d’un monde plus égalitaire.
Issu d’un contexte où les structures sociales étaient dominées par des castes et des inégalités, Souleymane Baal se distingue par son engagement à renverser l’ordre établi. En 1776, il renverse la dynastie peule des Denianke avec l’aide d’Abdoul Kader Kane, qui lui succédera après sa mort. Cet acte marque le début de la révolution tooroodo, un mouvement de réforme islamique visant à établir un État théocratique, fondé sur les principes de la charia, et mettant fin à la pratique de l’esclavage, notamment chez les Maures.
Sa formation religieuse l’amena à parcourir diverses régions comme le Cayor, le royaume de la Maurétanie, le Fouta Djallon, et le Boundou, où il approfondit ses connaissances et affina sa vision de l’islam. Lorsqu’il renversa le dernier Saltigué de la dynastie des Denianke, Suley Njaay Tokooso, il mit fin à une monarchie absolue et amorça une politique fondée sur l’égalité entre les peuples, l’abolition des castes et une gestion rigoureuse de la justice selon les principes islamiques. Il imposa notamment l’égalité pour tous dans l’apprentissage de l’islam, sans distinction d’origine ou de statut social.
Conscient de la portée de son combat, Souleymane Baal adopta un nom de famille différent, passant de « Ba » à « Baal », un choix symbolique pour se distancer de l’héritage de la dynastie des Denianke et affirmer son indépendance. En dépit de son courage et de ses accomplissements, Souleymane Baal mourut prématurément en 1776, au cours d’une bataille contre les Maures, laissant un peuple en deuil mais aussi un héritage de réformes.
À travers ses dernières volontés, Souleymane Baal a montré la voie à suivre. Il prônait une société où le pouvoir était choisi en fonction du mérite et non du nom, une société où la justice était la règle, et où le bien-être de tous, des orphelins aux vieillards, était garanti. Parmi ses recommandations laissées aux populations du Fouta, on retrouve des principes fondamentaux pour garantir une gouvernance juste et équitable :
Déposer tout imam dont la richesse croît de manière excessive et confisquer ses biens.
Combattre et expulser celui qui persiste à suivre un chemin injuste.
Éviter que l’imâmat ne devienne une royauté héréditaire.
Choisir un imam parmi toutes les tribus, basé sur le mérite et les compétences, plutôt que sur l’hérédité ou la richesse.
Privilégier l’aptitude et la sagesse dans le choix des dirigeants, en s’assurant que la justice prime.
Garantir l’unité du Fouta, le fleuve n’étant pas une frontière mais un lien unissant les peuples des deux rives.
Faire en sorte que l’impôt, les amendes et les revenus soient utilisés pour le bien-être commun et l’intérêt général.
La défense du territoire est une responsabilité partagée, et chaque homme valide est appelé à défendre sa terre si nécessaire.
Les orphelins, enfants et vieillards doivent être protégés, assurant leur bien-être et leur dignité.
Le titre royal de Satigi est banni ; le nouveau chef portera désormais le titre d’Almamy, désigné par le collège des grands électeurs des six provinces du Fouta.
Ces recommandations, formulées dans une Assemblée générale des oulémas et notables du Fouta, visent à organiser les affaires de la cité, garantissant une gouvernance juste, équitable et respectueuse des principes islamiques.
La bravoure de Thierno Souleymane Baal fut également une part essentielle de son héritage. L’une des anecdotes les plus célèbres raconte son affrontement avec les Maures qui venaient percevoir la dîme. Alors qu’ils lui répondaient que la dîme leur revenait de droit, il leur rétorqua qu’ils n’avaient aucune légitimité spirituelle à la percevoir. Il fit un serment solennel : jamais plus le tribut ne serait levé dans sa région, et il s’opposa fermement à toute forme de domination. Il devint ainsi « le Briseur de mouddo horma », un symbole de résistance.
Aujourd’hui, bien que l’État théocratique qu’il fonda s’est effondré après sa mort, miné par les luttes de succession, son héritage reste vivant.
*Sources
Cissé Blondin, Confréries et communauté politique au Sénégal : pour une critique du paradigme unificateur en politique, L’Harmattan, 2007, p. 67 (ISBN 9782296046085).
Baïla Wane, « Le Fuuta Tooro de Ceerno Suleyman Baal à la fin de l’Almamyat (1770 – 1880) », communication présentée à Zaria (Nigéria) lors du Colloque sur « Les pasteurs des savanes de l’Afrique occidentale » en juillet 1979.